DONNIE DARKO
Richard Kelly
2001
Donnie Darko est le premier long métrage du réalisateur américain Richard KELLY (26 ans au moment du tournage) qui en a écrit le scénario (scénario écrit quelques années auparavant, dit-il, alors qu’il était encore au lycée), sorti au cinéma en 2001, d’une durée de 1 heure 49 imposée par les producteurs (initialement de 2 heures 30) et tourné en 28 jours. Nommé à 21 récompenses, le film a gagné 11 prix. Il a terminé en deuxième position du classement des « 50 plus grands films indépendants de tous les temps » du magazine Empire, juste derrière Reservoir Dogs de Quentin Tarantino et il est devenu un film culte.
Le quatrième film et second long-métrage de Richard Kelly Southland Tales a concouru au festival de Cannes en 2006 avec un accueil mitigé. En 2008 Kelly a réalisé The box et il travaille actuellement sur un long-métrage en 3D, thriller se déroulant à Manhattan en 2014.
Ses films ont des thèmes communs autour du voyage dans le temps et du sens de l’existence. Ses héros vivent en marge de la société américaine et évoluent tant bien que mal dans un monde insatisfaisant, y découvrant à l’occasion une raison d’être et de mourir : l’amour.
Il est à noter que le père de Kelly a travaillé pour la NASA sur le programme Mars Viking Lander dans les années 1970, pour développer la première caméra pouvant prendre des clichés de la planète rouge (dans The box, le mari travaille sur ce projet). Richard Kelly est né et a grandi en Virginie (à Midlothian), il a mené à leur terme des études cinématographiques à la prestigieuse School of Cinematic Arts de University of Southern California.
Malgré l’enveloppe budgétaire serrée (4 500 000 dollars) qui excluait d’embaucher des vedettes, le réalisateur a su trouver des acteurs particulièrement efficaces :
- Jake GYLLENHAAL / Donald « Donnie » Darko (sa ressemblance avec le réalisateur est à noter)
- Maggie GYLLENHAAL sa sœur / Elizabeth Darko, sa sœur à l’écran
Leur père est réalisateur et leur mère scénariste. Jake a fait ses débuts à l’écran à l’âge de onze ans et après deux ans à l’université de Columbia, a enchainé les rôles au théâtre et au cinéma, s’imposant comme une étoile montante de Hollywood. L’année 2005 lui sera particulièrement bénéfique avec trois films dont Le Secret de Brokeback Mountain de Ang Lee (film indépendant au succès à la fois critique et public retentissant) où il interprète le rôle de Jack Twist qui lui vaudra plusieurs nominations ou prix d’interprétation.
- Jena MALLONE / Gretchen Ross
- Drew BARRYMORE / Karen Pomeroy
- Mary McDONNELL / Rose Darko, mère de Donnie
- Katharine ROSS / Dr Lilian Thurman (la « mademoiselle Robinson » du Lauréat, qui n’avait pas tourné depuis 15 ans jusqu’à ce retour à l’écran)
- Patrick SWAYZE / Jim Cunningham (qui casse ici son image dans un étonnant contre-emploi)
- Noah WYLE / Dr Kenneth Monnitoff
- Holmes OSBORNE / Eddie Darko, père de Donnie
- Daveigh CHASE / Samantha Darko
- James DUVAL / Franck
Le film, entre thriller, film fantastique, science-fiction, à l’atmosphère étrange, oscillant entre l’univers de Philip K. Dick et l’imaginaire d’un David Lynch, est un objet à part dans le cinéma américain.
Il a pour personnage principal Donald « Donnie » Darko, un adolescent de seize ans, intelligent mais perturbé, souffrant de somnambulisme et d’hallucinations, pris en charge par un psychiatre.
L’action du film se déroule pendant la campagne pour les élections présidentielles de 1988 aux États Unis, en Iowa, dans la ville fictive de Middlesex (on peut s’interroger sur le choix de ce nom …). La dimension politique du film est nettement posée dès la première scène de repas qui réunit la famille Darko dans une discussion animée à propos des élections présidentielles.
Donnie Darko vit dans une famille américaine de la petite bourgeoisie. Ses parents sont plutôt sympathiques même si son père a les idées réactionnaires de l’américain moyen. Sa mère est sans doute dépressive, elle a toujours un verre de vin à la main et Donnie lui renvoie qu’elle devrait peut-être reprendre ses « foutues pilules ».
Il a deux sœurs, une plus jeune qui prépare un numéro de danse pour un gala de son école et qui s’intéresse aux licornes, une sœur aînée qui va entrer à l’université et qui a une relation amoureuse.
Après une scène d’introduction (durant le générique et avant le titre) où un long travelling à la steadicam, nous fait découvrir un jeune homme allongé sur une route en lacets, sur les hauteurs d’un paysage brumeux, un vélo abandonné sur le bas-côté (scène tournée à deux heures du matin, sur la côte de Californie). Le jeune homme se relève dans un mouvement tournoyant de la caméra, sourit tandis qu’apparaît le titre, son nom, enfourche son vélo et descend avec énergie la petite route de montagne sur un fond de musique. Gros plan sur un panneau où se détache en noir (avec une graphie en « flammes ») « Middlesex Halloween Carnival 26 au 30 octobre ». [Musique : The killing moon]
Arrivant au niveau des habitations, Donnie croise une voiture rouge (c’est Franck qui vient de déposer Elizabeth) et deux jeunes filles qui font du jogging. Il arrive chez lui, une maison pimpante, la Porsche de son père garée dans l’allée, celui-ci, un souffleur de feuilles à la main, taquine la sœur aînée, la plus jeune sœur fait du trampoline, tandis que la mère, allongée dans le jardin, un verre de vin blanc posé près d’elle, lit IT (Ça) de Stephen KING…[Roman d’horreur paru en 1986 et le plus vendu aux USA cette année-là : il raconte la lutte entre sept enfants terrorisés devenus adultes et une entité maléfique « Ça » qui prend la forme des peurs les plus profondes et qui se présente sous la forme d’un clown]. Donnie ouvre le réfrigérateur sur lequel est accroché un papier : « Où est Donnie ? ».
Nous voyons ensuite la famille réunie à table. La sœur aînée annonce qu’elle va voter Dukakis ce qui étonne son père (la part de pizza qu’il s’apprêtait à manger reste suspendue dans sa main). Elle doit aller à Harvard. Elizabeth et Donnie se disputent de façon très agressive, avec des propos crus. Seule la mère intervient tandis que le père se bouche les oreilles. La dispute a démarré avec la réponse de Donnie à l’interrogation de Samantha, la petite sœur, sur le moment où elle pourrait trouver un mari : « pas avant la classe de 4ème ». Cette réponse de Donnie et l’insistance de ce dernier fait réagir vivement Elizabeth, la sœur aînée, qui lui demande pourquoi il ne prend plus son traitement (on peut en déduire que c’est en effet à cette époque qu’elle a elle-même commencé sa vie sexuelle). Politique, entrée dans la sexualité génitale, thérapeutique, les sujets sont d’emblée posés.
Scène suivante : Donnie est dans sa chambre et lit, sa mère frappe à la porte et entre ce qui le rend agressif. La discussion est animée, la mère s’inquiète des sorties nocturnes de Donnie et dit qu’elle ne reconnait plus son fils. Elle ne comprend pas son changement (ce n’est plus son « petit garçon » comme le souligne le changement de décor de la chambre de Donnie après sa reconstruction : le jeu de fléchettes et les posters de super-héros sont remplacés par des photos de pinups…). Donnie renvoie sa mère lui disant qu’elle devrait peut-être reprendre des médicaments. Après qu’elle soit sortie Donnie insulte sa mère, la traite de « bitch »tout en ayant l’air contrit. Dans la chambre conjugale, la mère en fait part au père peu réactif, allongé sur leur lit (il lit encore Stephen KING, Les Tommyknockers, publié en 1987, où un vaisseau extraterrestre découvert par une femme écrivain, va exercer une influence sur les habitants d’une ville, leur donnant une grande inventivité mais leur enlevant leur humanité et leurs valeurs éthiques, jusqu’à ce qu’un poète s’emploie à les en délivrer au prix de sa vie).
Donnie dans la salle de bains ouvre la porte miroir de l’armoire de toilette (nous retrouverons à plusieurs reprise cet « effet miroir », supposé réel avec le reflet de Donnie dans la porte, fantasmatique avec l’espèce d’écran liquide qui le sépare de Franck), il prend une boite de médicaments et avale des cachets, tandis que son père, insomniaque, se lève et regarde la télévision [discours respectifs de Dukakis et Bush sur le Panama de Noriegua, la lutte contre les « contras » et le trafic de drogue en Amérique latine…].
Une horloge marque minuit. Dans une profusion de références et clins d’œil au contexte idéologique et culturel des personnages et donc de leur auteur, avec une ambivalence certaine vis-à-vis des personnages qui s’animent sous nos yeux, le décor est planté. Le spectacle va pouvoir se déployer. Comme un titre de chapitre apparaît sur fond noir : « 2 octobre 1988 ».
A partir de là, le film est en effet construit comme une boucle, l’histoire finissant comme elle débute, à la manière d’une nouvelle extraordinaire d’Edgar Allan Poe.
La nuit du 2 octobre, le réacteur d’un avion de ligne s’écrase sur la maison et la chambre de Donnie qui échappe à la mort car, victime d’une crise de somnambulisme, il était à ce moment à l’extérieur de la maison. A la fin du film, il meurt car il est alors dans sa chambre.
Comment en est-il arrivé là ? Le film propose au spectateur différents points de vue, réels, imaginaires, supposées réels ou non, le « décor » et l’ « envers du décor » des divers protagonistes. C’est dans la parenthèse de ces deux événements qui n’en sont qu’un (ce paradoxe qui anime le film : comment en essayant d’échapper à un sort funeste, on n’y échappe pas), que le film déploie la vision pathologique du monde de Donnie Darko et nous propose sa néo réalité créative, si envoutante que les critiques et les spectateurs débattent encore d’interprétations logiques qui pourraient rationaliser les contradictions du film, l’absurde, rendre étanche ce qui est supposé relever de la réalité et ce qui est supposé relever de la fiction, afin de conforter notre perception intelligible du monde.
Donnie a un ami imaginaire, nommé Franck, déguisé en lapin géant, au visage effrayant et à la voix artificielle. Lorsque Donnie échappe par miracle à la mort, celui-ci lui annonce que la fin du monde adviendra dans 28 jours, 6 heures, 42 minutes et 12 secondes (chiffres écrits sur le bras de Donnie lorsqu’il se réveille sur la pelouse du terrain de golf).
Franck donne à Donnie des missions à accomplir avant cet événement, provoquant une chaine d’événements : il saccage les conduites d’eau et inonde son lycée. La fermeture provisoire du lycée lui donne l’opportunité de faire d’une nouvelle camarade de classe, Gretchen Ross, sa petite amie.
Alors que Donnie et Gretchen vont au cinéma voir Evil Dead et La dernière tentation du Christ , cette dernière s’endort et Frank apparaît à Donnie. Ce dernier se révèle être un adolescent de son âge dont l’œil droit est crevé. Le même œil que celui qu’avait visé Donnie de son couteau lors d’une précédente hallucination. Frank montre un portail temporel à Donnie, et lui ordonne d’incendier la maison de Jim Cunningham, une sorte de gourou, interprété par Patrick Swayze, « coach de la motivation », qui était intervenu au lycée, et dont la théorie simpliste sur la division du monde entre la peur et l’amour avait navré Donnie.
Cette seconde mission entraîne la découverte de matériels pédophiles et l’arrestation de Cunningham.
Donnie s’intéresse au voyage dans le temps et découvre grâce à son professeur de sciences, le Professeur Monnitoff, le livre La philosophie du voyage dans le temps (The philosophy of the travel time) dont l’auteur est une vieille femme centenaire originale qui a exercé comme professeur au lycée après avoir été nonne … connue sous le nom de « Grand-mère-la-mort » car elle erre le plus souvent sur la route.
Donnie voit des formes tentaculaires à l’aspect liquide (rappel du film Abbyss) sortir de la poitrine des gens qui l’entourent indiquant les endroits où ils se rendront, leur futur proche. Il suit son propre tentacule jusqu’à la chambre de ses parents où il trouve leur revolver caché dans l’armoire, dont il s’empare.
Le 29 octobre, soit 27 jours après la prédiction de Frank, la mère de Donnie amène sa plus jeune sœur à Los Angeles pour participer à un concours de danse (déplacement indirectement induit par l’incendie déclenché par Donnie, car la mère de Donnie remplace Kittie Farmer, la professeur de gymnastique hystérique qui aurait dû les accompagner si elle n’avait pas pris la tête d’un groupe de soutien à Jim Cunningham). La sœur aînée profite de la maison vide pour fêter son entrée à Harvard . Au cours de cette soirée costumée (Donnie porte une combinaison imprimée d’un squelette tandis que le costume d’Elizabeth est selon la volonté du réalisateur, un hommage à Lolita de Stanley Kubrick), Donnie et Gretchen qui a elle-même une histoire familiale compliquée et traumatisante, se retrouvent dans la chambre des parents (musique Under the milky way de The Church).
Donnie est frappé d’une nouvelle hallucination, il entraîne Gretchen et deux autres amis chez « Grand-mère-la-mort ». Ils y sont agressés par deux lycéens qui cambriolaient la maison cette nuit-là, dont celui qui s’en était déjà pris à Donnie. Dans la bagarre, Gretchen est projetée sur la route et tuée par les roues d’une voiture rouge (clin d’œil à Christine, la voiture du film de John Carpenter adapté du roman de Stephen King). En sort un clown et le petit ami de la sœur de Donnie : Frank. Ce même Frank qu’il voyait lors de ses hallucinations puisqu’il porte le même costume de lapin mais il a enlevé son masque. Donnie tire avec l’arme de ses parents, lui logeant une balle dans l’œil droit, répétant avec le Frank humain ce qu’il avait déjà fait à son double imaginaire.
Minuit est passé, la boucle semble bouclée. C’est le jour de la fin du monde, annoncé par Frank que Donnie ne reverra plus.
Il transporte Gretchen à pied jusque chez lui puis la conduit en voiture sur la montagne surplombant Middlesex, à l’endroit où commence le film lors de sa première crise de somnambulisme. Depuis la colline, il assiste à la formation d’un portail sous la forme d’une tornade. Un avion s’y dirige : c’est celui de sa mère et de sa sœur qui reviennent de son concours de danse. Donnie va faire en sorte d’être cette fois-ci dans sa chambre au moment où l’avion perd un réacteur au-dessus de sa maison et ainsi périr.
Une accélération en arrière ramène le spectateur au moment de l’accident : Donnie est dans son lit et rit. Elizabeth rentre à la maison tandis qu’une voiture s’éloigne et klaxonne. Le réacteur s’écrase.
Au lendemain de la chute du réacteur, tous les personnages concernés directement ou indirectement par la décision de Donnie, se réveillent en ayant fait le même cauchemar, l’histoire qui vient de se dérouler, avec en fond sonore la chanson Mad world. La thérapeute se réveille en sursaut, Frank est dans sa chambre avec un prototype de masque de lapin pour Halloween , se touchant l’œil droit inconsciemment. Cunningham pleure dans sa chambre. Les autres personnages, eux aussi, ont des impressions de déjà-vu , d’inquiétante étrangeté.
Cette fois Donnie a choisi de rester dans son lit, s’offrant à une mort certaine, mais en sachant que son décès sauvera la vie de plusieurs personnes (Frank, Gretchen, sa mère et sa petite sœur) car il connaît l’avenir dramatique qui se prépare s’il survit à cet incident. Son corps sans vie est transporté dans une ambulance, alors que Gretchen passe devant la maison de celui qu’elle n’a jamais connu, ne connaissant pas même son nom mais il y a un échange de signes de la main entre elle et la mère de Donnie.
Dans ses commentaires du film, Richard Kelly donne son explication de l’histoire (développée dans le « site officiel » du film) :
Selon lui, le 2 octobre à minuit, un «univers tangent » se sépare de l’univers normal au moment où Donnie est appelé pour la première fois par Frank, immédiatement avant l’arrivée du réacteur. Cet univers, instable par nature, s’arrêtera inévitablement dans moins de six semaines et détruira l’« univers premier » si l’élément perturbateur, à savoir l’arrivée du réacteur, n’est pas corrigé. Le rôle de Donnie (le « Living Receiver ») est d’assurer la fermeture de l’« univers tangent », et reçoit pour cette tâche certains pouvoirs surnaturels. Ceux qui meurent ou qui vont mourir dans l’« univers tangent », les « Manipulated Dead », peuvent guider et assister Donnie pour que sa mission soit une réussite. Frank lui apparaît ainsi à plusieurs reprises, tandis que Gretchen va influencer le choix final de Donnie. Les autres personnages — « Manipulated Living » — savent inconsciemment ce qui se passe et poussent Donnie à fermer l’« univers tangent ». La nature exacte de Frank (hallucination ? apparition divine ? prémonition ? etc.) reste énigmatique.
Le livre de Stephen Hawkins Une brève histoire du temps, que l’on voit en gros plan dans le film, a une importance centrale. Il est une référence majeure pour Kelly qui dit en avoir « fait sa bible ». Les scènes entre le héros et le professeur Mannitoff sont importantes, pour l’explication qu’en tirent Donnie et le réalisateur, mais surtout pour la portée philosophique des écrits de l’astrophysicien, les questions métaphysiques que posent le « voyage dans le temps », concernant le libre-arbitre et la prédétermination, mais aussi la question de l’inéluctabilité de la mort.
À la fin du film, Donnie se retrouve au premier jour dans sa chambre et attend le sourire aux lèvres la chute du réacteur. On peut supposer que conscient de l’existence qu’il pourrait mener pendant 28 jours dans l’univers parallèle il se sacrifie pour assurer la venue d’un univers où survivent Frank, sa mère, sa sœur, et sa petite amie Gretchen. Dans cette optique, la fin serait alors à rapprocher du Nouveau Testament, où Jésus, le Messie (un des films à l’affiche lors de la soirée cinéma avec Gretchen est La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese) se sacrifie pour sauver l’humanité de ses péchés, et ainsi de l’enfer…
L’échappatoire mystique, empreint de religion chrétienne qui s’offre à Donnie (explicitement élu de Dieu, les fluides que voit Donnie sont appelés les God’s channel) ne tient pas.
La religion est en effet un thème important. La caméra insiste sur la croix qui surmonte le portail d’entrée du lycée. Les scènes coupées développent le rôle messianique de Donnie.
Les dialogues entre Donnie et sa thérapeute autour de Dieu et du supposé athéisme de Donnie, ancrent le film dans la société américaine où le poids de la religion est central.
Le réalisateur tourne en dérision la glorification du coach de vie, modèle à penser hypocrite du lycée alors qu’a contrario, le professeur Pomeroy, ayant fait lire Graham Greene à ses élèves est exclu, car le roman étudié Les destructeurs, mentionne un acte de vandalisme semblable à celui perpétré dans l’école, ironisant sur les accusations souvent portées contre la littérature, le cinéma, les jeux vidéo, lors d’actes criminels commis par des adolescents (ainsi lors du drame de Columbine, en 1999, par exemple) pour montrer que les actes immoraux sont pratiqués par ceux-là même qui professent la moralité.
Kelly, dans ses commentaires, dit que son film est « une fable sur la fin des années Reagan, dans une banlieue type. Le film mêle science-fiction, horreur et satire » (…) Film sur « La fin d’une période d’indulgence alimentée par une pop psychologie aveugle qui allait voir naître toutes ces méthodes de travail sur soi, où on allait commencer à gaver les gosses de pilules »
« Donnie est (selon lui) un antihéros qui exprime la frustration, l’aliénation et la colère que tout ado ressent à cet âge s’il est tant soit peu intelligent ». « Le film doit prendre aux tripes, émouvoir et donner une lueur d’espoir ».
S’il y parvient, c’est qu’au-delà du discours sur la société, le film de Kelly est un drame intimiste : le héros tourmenté affiche sa souffrance. L’environnement social hostile, en partie responsable de cette souffrance, génère une angoisse au sujet de la fin du monde, son monde personnel ou le monde entier confondus dont il cherche à s’échapper. La fête d’Halloween, si populaire aux USA, avec ses thèmes morbides codifiés, ses déguisements effrayants, la diffusion de films d’horreur où l’on exorcise ses peurs, se prête particulièrement à l’idée de pouvoir communiquer avec ses démons intérieurs.
Kelly s’attaque aussi au tabou du sexe : Donnie, natif de la ville de Middlesex, est obsédé par le sexe et il n’est pas innocent que son ami imaginaire soit un lapin, en réalité le costume porté par le petit-ami de sa sœur, un petit ami fantasmé puisque Donnie ne l’a jamais vu. Le discours sur la sexualité des Schtroumfs confirme cette obsession.
Obsédé par l’idée de franchir une étape affective et sociale, une sexualité génitale, il s’isole, il décide de vivre en dehors du monde (l’univers parallèle où il peut s’épanouir, devenir conscient et maître de ses actes et faire l’amour), rencontrant néanmoins au bout du chemin la peur de mourir (« every living creature on this earth dies alone » lui glisse à l’oreille « grand-mère-la-mort »).
Les différentes étapes de l’aventure où chaque personnage est une pièce du puzzle, épreuves que les jeunes héros de conte de fée doivent subir et traverser victorieusement pour parvenir à l’âge adulte, constituent pour Donnie une forme de psychothérapie, même si le réalisateur est plutôt ambivalent vis-à-vis du personnage du psychiatre, Katarine Ross/ Docteur Thurman.
Le traitement médicamenteux est très suspect puisque c’est toujours après une prise de médicaments que Donnie a des hallucinations. Par ailleurs, la première scène où l’on voit Donnie prendre sa prescription est suivie d’une scène où son père regarde à la télévision un reportage sur le Panama de Noriegua, les « contras » au Nicaragua, le trafic de drogue et la lutte qu’envisagent les deux candidats à la présidence, Bush et Dukakis (dans l’une des scènes coupées, la thérapeute révèle à Donnie que les cachets qu’il prend sont en fait des placebos, ce qui laisse perplexe sur le sens à donner à cet aveu).
La thérapeute, malgré le transfert positif de Donnie, malgré sa sensibilité et son empathie certaine pour son patient, est prise dans ses limites et ses contradictions. Elle ne peut libérer la parole de Donnie, le laisser exprimer ce qu’il serait prêt à dire (ses préoccupations d’ordre sexuel en l’occurrence), mais elle essaie de l’emmener sur d’autres sujets, le canaliser, lui faire dire ce qu’elle voudrait entendre. Lors des séances d’hypnose, traitées avec un mélange d’émotion (du fait de la régression infantile qu’elles provoquent chez Donnie) et d’humour, la thérapeute se trouve dépassée lorsqu’elle voit Donnie commencer à déboutonner sa braguette et n’a que le temps d’interrompre la séance avant qu’elle ne dégénère. Elle reste du côté de la morale et de l’ordre établi et se retrouve en position d’appeler les parents de Donnie pour les informer des passages à l’acte dont il lui a fait part.
Certains y ont vu un positionnement du réalisateur et un plaidoyer pour les thèses du mouvement de l’antipsychiatrie (avec David Cooper et Ronald Laing en Grande-Bretagne ou Gregory Bateson aux USA) et l’utopie de transformer la folie en voyage initiatique. L’idée principale étant que l’individu se réfugie dans la folie lorsqu’il doit faire face à une situation sociale intolérable. La question de l’influence sociale et familiale sur le mal-être de Donnie est en effet omniprésente dès les premières scènes du film et dans sa construction même.
Le thème de la violence et de son usage par exemple, est ici une issue pour se repositionner face à la société. Du négatif peut surgir le positif et une vision manichéenne et puritaine est elle-même aliénante (voir par exemple les échanges avec Cunningham et la révélation de la pédophilie du « coach » que permet l’incendie de sa maison).
Lorsque Donnie demande à sa mère ce que ça lui fait d’avoir un fils « barjot », elle lui répond les larmes aux yeux, que c’est « merveilleux ». Ce point de vue d’une maladie mentale qui serait une douloureuse richesse, est typiquement celui de l’anti-psychiatrie, celui de Ronald Laing par exemple, qui affirmait que « les schizophrènes ont plus de choses à apprendre aux psychiatres sur leur monde intérieur, que les psychiatres aux malades »
A propos du nom « Darko » (Dark/noir), de son surnom, dont elle s’étonne, Gretchen dit « On dirait un nom de Super héros ! », à quoi Donnie répond « Et si j’en étais un ? ». Le nom de Gretchen Ross est lui-même un nom inventé par la jeune fille, traumatisée par un drame familial, le nom qu’elle a trouvé pour recommencer une nouvelle vie loin d’un beau-père qui a des « problèmes émotionnels », violent (il a poignardé sa mère) et persécuteur. Donnie devient un élève brillant, Gretchen tombe rapidement amoureuse de lui, il trouve le portefeuille de Cunningham, ses professeurs lui proposent un livre essentiel ou un mot magique « cellardoor » (le plus beau mot de la langue anglaise selon Tolkien qui a créé Le Seigneur des anneaux), ses méfaits qui sont autant de projets pour prouver au monde qu’il y a une part de « création dans la destruction » et qu’il faut « changer les choses », restent impunis mais qui plus est, ils lui donnent une force décuplée (voir l’épisode de la hache plantée dans la tête de la statue en bronze « le monstre » devant le collège)… Autant de fantasmes de toute puissance pour échapper à l’angoisse.
La schizophrénie est le fil rouge du film avec pour issue l’idée de mettre en scène sa propre mort fantasmatiquement pour lutter contre l’angoisse:
Nous avons vu que Donnie est un adolescent qui prend des médicaments, qui suit une thérapie et qui a des antécédents de passages à l’acte (il a fait de la prison car il a incendié une maison abandonnée, il a eu des problèmes avec des voisins, il n’a pas le droit de conduire avant l’âge de 21 ans).
Il présente une personnalité « bizarre » que l’on pourrait qualifier de Schizoïde : il a un regard souvent vide, son regard bleu ne cille jamais, il a un contact assez désaffectivé et a du mal à exprimer directement ses sentiments ou à nouer des relations étroites avec autrui, il est solitaire, distant, détaché, rêveur, introverti. Il présente des perturbations du sommeil. Il a des altérations de la conscience avec des hallucinations psychosensorielles, visuelles et sonores. Son anxiété liée aux préoccupations délirantes, au sentiment de catastrophe imminente, alterne de façon fugace avec des moments de bonheur quasi-extatique. Il peut être très cru dans ses paroles (avec sa sœur certes mais il n’hésite pas à insulter sa mère ou le professeur Farmer, il provoque publiquement Cunningham) et violent en actes.
Donnie est donc un adolescent perturbé, qui décompense à l’adolescence : très intelligent mais avec un sentiment de persécution, une sexualité exacerbée, un rapport à Dieu très fort. Victime d’hallucinations, il se sent investi d’une mission contre les forces du mal qu’il pense menaçantes (automatisme mental et syndrome d’influence). Il perd ses repères spatiaux et temporels. Ses idées délirantes qui projettent à l’état brut des fantasmes inconscients, véhiculent une problématique imprégnée de conflits œdipiens ou préœdipiens, angoisse de castration, crainte et désir de rapports sexuels incestueux [sous hypnose, il dit penser beaucoup aux filles et lorsque la thérapeute essaie de dévier son discours sur sa famille, il répond « je ne pense pas à baiser ma famille, c’est trop dégueulasse ! »], avec un comportement régressif |il est à noter que la première injonction, l’ordre d’inonder le collège, survient après la vidéo de Cunningham où il est question d’un petit garçon qui fait pipi au lit jusqu’à l’âge de dix ans…].
L’agressivité que met Donnie à provoquer et à essayer de rabaisser sa sœur aînée, sont la marque d’une envie jalouse, d’une admiration amoureuse. Donnie est jaloux de la sexualité d’Elizabeth. Franck le petit-ami de celle-ci, devient à la fois le support projectif de Donnie et l’insupportable objet de sa haine : haine de l’autre en tant qu’objet aimé par la sœur mais aussi haine du « monstre » en soi, (lorsque Donnie s’observe dans le miroir de la salle de bains, il peut s’agir d’une perception anxieuse de la métamorphose corporelle propre à l’adolescence mais aussi d’une tentative de se défendre vis-à-vis d’angoisses pathologiques de dépersonnalisation).
C’est d’ailleurs Franck que Donnie tue et non son agresseur, par exemple.
On peut noter les récurrences du prénom Franck : le père fait allusion à un ami d’enfance mort sur le chemin du bal de leur collège, après que Donnie ait échappé au même sort. Cunnigham en fait le prénom de son « sujet type », l’adolescent malheureux, ayant peur de la vie et de ses émotions [« l’histoire déchirante d’un jeune homme dont la vie a été détruite par ces instruments de peur (que sont la tentation de la destruction par la drogue, l’alcool et le sexe avant le mariage), un jeune homme à la recherche de l’amour au mauvais endroit »].
L’amour incestueux que Donnie porte à Elizabeth (avec une certaine tendresse, il l’embrasse sur la tête alors qu’elle est endormie après la fête de Halloween et après que Gretchen et Frank aient été tués) est ici un déplacement de l’amour pour Rose, la mère également attaquée par Donnie qui la traite de « salope », et dont il tente de se détacher. L’agressivité est une défense devant l’hypersensibilité à l’autre qui rend si vulnérable et la problématique incestueuse qui ne permet pas une organisation de type névrotique (œdipienne) structurante.
Gretchen, objet d’amour fantasmé que Donnie pourrait à la fois aimer et protéger, puisqu’elle-même victime, traumatisée, est quant à elle un substitut d’Elizabeth/Rose. C’est dans la chambre des parents que Donnie et Gretchen se retrouvent lors de la fête d’Halloween et qu’ils ont leurs premières étreintes, alors que Donnie a une chambre toute neuve.
Le personnage du père se distingue par son retrait :
- il se bouche les oreilles lors de la première dispute entre Donnie et sa sœur aînée
- Il minimise l’agressivité de Donnie envers Rose, la tournant en dérision
- il ne se souvient même pas du nom de la psychiatre de Donnie
- les insultes de Donnie envers Kitty Farmer le font rigoler
- il ne s’exprime guère lors des entretiens avec la psychiatre, c’est surtout la mère qui parle (il ne prend la parole que pour excuser Donnie) ou avec le principal du lycée.
- Mais il est insomniaque et il s’endort à plusieurs reprises seul devant la télévision.
Il est lui-même dans ses souvenirs d’adolescent : il évoque le destin d’un camarade de lycée nommé Franky, mort sur le chemin du bal de promo, dans une scène où il semble lui-même régresser et trouver chez Rose, sa femme, une écoute maternante. Il est fataliste et parle de « destin », de même qu’il se sent impuissant et sans voix lors de l’annonce du diagnostic de schizophrénie.
Le père s’identifie à son fils. Dans une scène intéressante, coupée au montage, seule scène d’échange entre Donnie et son père, ce dernier dit avoir eu lui-même des problèmes psychologiques : « je suis fou » dit Donnie. « Non tu n’es pas fou, moi je l’ai été ». Il lui donne pour conseils : « Dis la vérité, même si on te regarde bizarrement. Tous ceux qui te diront que tu es un con sont de gros nuls. Ils font tous partie de ce grand complot de la nullité. Les gens comme toi leur font peur parce qu’ils savent que tu es plus malin qu’eux » dit-il rigolant. « Tu sais ce que tu dois leur répondre ? fuck you ! ».
Donnie est en manque de « re-pères » et de limites, le père se montrant défaillant dans son rôle étayant de père. D’où la difficulté de Donnie à s’inscrire dans une filiation où il pourrait faire la différence entre les générations [lors de l’échange entre Donnie et Frank au cinéma, où Frank se montre sans masque et blessé à l’œil, Frank répond à Donnie qui lui demande pourquoi il s’appelle Frank, « Frank est le nom de mon père et du père de mon père. »].
Les femmes ont une place dominante dans le film, c’est d’ailleurs curieusement à Rose, la mère de Donnie, que les enquêteurs demandent à parler « en privé » après la chute du réacteur.
Mais les enfants, de toute façon « doivent se sauver seuls, car leurs parents ne se doutent de rien » dit Karen Pomeroy lorsqu’elle quitte le lycée (scène en partie coupée au montage).
Rappelons enfin que l’issue des crises psychotiques peut être le suicide, ce qui donne à la fin du film une dimension métaphorique profonde
On peut imaginer en effet qu’il est suicidaire : ne supportant pas sa vie, il attend la mort, toutes les nuits en dormant au milieu de la route, espérant se faire écraser (comme les voitures manquent d’écraser régulièrement « grand-mère-la-mort » et comme la voiture rouge écrasera Gretchen, plus tard)
Il se réveille, il est vivant. Il sourit car dans son imagination, Dieu ou une force supérieure, le destin, a décidé qu’il vivrait encore ce jour car sa mission n’est pas terminée. (Voir la musique qui évoque « the killing time under the blue moon »).
« Tout individu schizophrène, ou tout jeune en voie de le devenir (écrit Harold Searles dans le chapitre La schizophrénie et l’inéluctabilité de la mort (in L’effort pour rendre l’autre fou), porte en lui une forte dose de haine refoulée et se voit – consciemment ou à un niveau refoulé – comme une créature porteuse de malveillance omnipotente. Ainsi, ce qui est vécu normalement comme la mort réaliste qui finira inévitablement par emporter chacun, le schizophrène tend à le vivre comme une projection de sa supposée toute-puissante destructivité ; il tend alors à se sentir personnellement et totalement responsable de la mort elle-même, comme il est responsable – plus, certainement, que toute autre personne – de ses propres sentiments, et donc de sa haine, qu’elle soit consciente ou inconsciente ».
Dans une scène coupée au montage, en classe de littérature, Donnie lit un poème qu’il a écrit :
« L’orage approche, dit Frank, et il engloutira tous les enfants.
Moi seul les délivrerai du royaume de la douleur,
Moi seul les ramènerai chez eux.
Je renverrai les monstres dans les profondeurs,
Là où nul ne peut les voir à part moi,
Car je suis Donnie Darko. »
C’est donc parce qu’il a pu réordonner la série de destructions qu’il avait provoquées, annulant en lui le germe de la destruction de l’humanité [Frank lui dit « je peux faire tout ce que je veux, toi aussi » et à propos de son entourage « ils sont en grand danger », c’est donc de lui, du danger qu’il représente pour eux, que Donnie doit sauver les autres], son amour devenant plus fort que sa haine, et convaincu que la condition de mortel ne lui est plus personnellement imputable, que Donnie peut alors accepter l’inéluctabilité de la mort, d’où son rire jubilatoire lorsqu’il sait que sa mission s’achève.
« Chaque humain meurt toujours seul », soit, ce n’est plus une angoisse. Donnie accepte de mourir seul puisqu’ainsi il n’entraîne pas ses proches et le monde entier dans une fin du monde, dans une destruction ultime.
Le dessin d’Escher « Œil » (1946), que nous avions vu dans la chambre de Donnie au début du film et que nous retrouvons en gros plan à la fin pour introduire la scène où Donnie retrouve sa chambre d’adolescent celle d’avant la destruction, est un dessin où nous voyons dans l’œil ce qui est dans l’œil de tout homme : il va mourir, le caractère vivant et lumineux du regard contrastant avec l’arrière fond grimaçant de la tête de mort (à la façon d’un « memento mori » comme l’anamorphose du tableau Les Ambassadeurs d’Holbein, par exemple).
Cette référence est à la fois une annonce de la mort de Donnie et une allusion aux espaces-temps imbriqués chers au dessinateur virtuose comme au réalisateur. Comme dans l’Œil d’Escher, Donnie est et n’est plus là, simultanément, peut-être déjà mort. Le dédoublement de la personnalité, ou schizophrénie, s’explique ainsi par la coexistence de deux modes de temps liés à deux modes opposés d’existence : l’existence active qui s’exerce dans la réalité présente, une existence passive dans un temps qui échappe à une linéarité et à l’irréversibilité, ici assimilé à un temps cinématographique.
Dans le miroir de Donnie, tout comme dans l’œil dessiné par Escher, il y a son devenir et ce qu’il est déjà dans une autre réalité. Si le miroir permet au petit enfant, à partir de dix-huit mois, de comprendre que le monde n’est pas le produit de sa perception, mais que lui-même en fait partie (c’est en se voyant dans un miroir que l’on prend conscience d’exister au sein de la réalité « extérieure »), ici, le miroir invite à douter de soi-même. Si le crâne est le reflet mort de celui qui s’y reflète, est-ce le reflet de l’individu dont nous voyons l’œil qui se regarderait dans un miroir, ou est-ce le sombre reflet du spectateur de l’œuvre ?
Là encore, le rire jubilatoire indique que, par la mort, Donnie devient un sujet différencié et unifié.
La musique est extrêmement importante dans ce film et dans les films de Richard Kelly en général. Les chansons n’ont pas été choisies par hasard, même si elles semblent évoquer les tubes de l’époque.
Kelly a choisi les chansons du film en partie pour des raisons financières, n’ayant pas toujours eu le budget pour acheter les droits des chansons qu’il désirait utiliser, mais il dit néanmoins s’être attaché très précisément aux paroles qu’elles énoncent : l’une des scènes les plus célèbres est celle de la fin de Donnie Darko, avec pour fond la version de Gary Jules de la chanson Mad World de Tears for Fears.
Richard Kelly a choisi Michael Andrews pour travailler sur la musique du film. Ce dernier désirant ajouter une chanson à la bande originale, il choisit Mad World, premier tube du groupe Tears for Fears en 1982, et demanda à son ami d’enfance Gary Jules d’en interpréter une nouvelle version, remplie finalement d’émotion et plus acoustique que l’original. Mad World a été le best-seller de Noël 2003 en Angleterre se classant numéro 1 durant plus de trois semaines.
Parmi les autres morceaux que l’on peut entendre dans le film, on peut citer :
- 1) The Killing Moon de Echo & the Bunnymen [« le Destin, contre ta volonté, contre vents et marées, attendra que tu te donnes à lui », ce que fait le héros du film à la fin, en choisissant d’accepter sa mort pour sauver ses proches.] lors de la redescente en vélo.
- 2) Head over heels des Tears for fears lors de la séquence d’ouverture du collège
- 3) Notorious de Duran Duran lors du spectacle de la petite Samantha
- 4) Love will tear us apart de Joy Division lors de la fête d’Halloween
- 5) Under the milky way de The Church (lors de la fête d’Halloween, lorsque Donnie et Gretchen redescendent de la chambre parentale)
- 6) From whom the bells tolls, le beau générique de fin de Steve Baker et Carmen Daye.
« Des années après que Donnie Darko se soit taillé son statut de film culte, Michael Andrews l’a décrit comme « une possible naïveté qui s’est muée elle-même en quelque chose d’original », ce qui est une manière plutôt romantique d’envisager les choses. Mais décrire la bande originale comme naïve serait minimiser à quel point son assemblage a été impeccable et méticuleux ; à quel point les morceaux sont fondus et cousus autour de chaque scène comme des boutons sur un manteau ; comment la simplicité et la hardiesse de la musique semble si réfléchie ; et comment, quinze ans après la sortie en salles du film, on a encore l’impression que c’est un des seuls films mainstream qui ait réussi à saisir ce que c’était d’être jeune, triste et perdu. » pouvait-on lire dans un blog (« Donnie Darko et l’angoisse adolescente en musique ») en septembre 2016.
Donnie Darko laisse le temps à ses personnages de vivre dans ce monde promis à la disparition, notamment lors de ces séquences musicales qui lient les différents personnages par de longs mouvements de caméra, cette dernière les suivant durant des fragments de leur existence virtuelle, mises en scène d’espaces-temps, de liaisons, de trajectoires pour évoquer comment hasard et destinée créent de nouveaux mondes possibles. Immergeant le spectateur, tentant de lui procurer une excitation esthétique active, c’est la structure même du film Donnie Darko qui est principalement donnée à voir, la boucle impossible d’une réalité, qui s’ouvre et s’achève par le crash du réacteur d’avion qui s’écrase dans la chambre de Donnie.
Réalité ? Fiction ? Si ce film est devenu un film culte, c’est qu’il entretient un rapport singulier avec l’organisation psychique de l’adolescent, tout à la fois miroir et projection. Il met en images les questions toujours à reposer, celle de l’origine, de la mort, celle du désir, de la rencontre amoureuse, de l’autre, de l’autre sexe, de l’autre désirant. Il met en scène des scénarios fantastiques invariants, vacillement de l’identité sexuée, dépersonnalisation et dépression. Construit comme un conte, comme une parabole, il se déploie dans un univers esthétique original, puissant et émouvant.
Au-delà de la question de la vraisemblance, de l’interprétation unilatérale et rationnelle, il faut admettre que c’est un univers psychique que Richard Kelly nous donne à voir, à regarder, à partager, un univers où la réalité n’est pas celle que nous vivons au quotidien mais un espace entre imagination et réalité, un peu à la façon dont nous flottons au sortir d’un rêve (cette « psychose de la nuit » selon Freud), au moment du réveil, où nous ne savons plus si nous avons réellement vécu ou pas le scénario onirique, moment agréable ou pénible selon la teneur de ce scénario qui s’achève. Un univers pas tout à fait réel donc mais construit dans cette boite noire qu’est le psychisme et qui peut provoquer la souffrance de certains d’entre nous (« la seule maison hantée, c’est cette boite crânienne qu’on trimbale partout sur nos têtes » écrit Marie Darieussecq à propos de l’artiste Annette Messager).
Comme tout créateur [Donnie lui-même peint et veut devenir peintre ou écrivain, peut-être illustrer un livre ce qui, dit-il, « contribuera peut-être à changer quelque chose »], c’est au plus profond du psychisme humain, de ses fantasmes et de ses angoisses archaïques que Kelly va chercher le matériau cinématographique. De la « destruction », il fait une « création » : 28 jours de tournage, 28 jours pour empêcher la fin du monde.
C’est donc du cinéma mais il ne serait qu’un exercice de virtuosité sans l’émotion que le récit porte, fondée sur notre interrogation face à notre propre perception du monde, face à notre propre existence et c’est à cette émotion même que le film doit sa réussite.