Maïwenn : Pardonnez-moi (2)

PARDONNEZ-MOI :

Synopsis : Alors qu’elle attend son premier enfant, Violette (MAÏWENN) décide de lui offrir un film sur sa famille. Caméra au poing, elle va faire éclater la vérité et révéler les secrets de famille en affrontant à tour de rôle sa mère (Marie-France PISIER), ses sœurs (Hélène DE FOUGEROLLES & Mélanie THIERRY), un journaliste que sa mère a connu vingt ans auparavant (Aurélien RECOING), et enfin son père (Pascal GREGGORY)… Aveux, cris, larmes et fous rires… : personne n’en sortira indemne !

Distribution :

Maïwenn : Violette

Pascal Greggory : Dominique

Hélène de Fougerolles : Billy (inspirée d’Isild Le Besco), sœur cadette

Aurélien Recoing : Paul (inspiré d’Antoine Silberfeld)

Mélanie Thierry : Nadia, la benjamine

Marie-France Pisier : Lola, la mère (inspirée de Catherine Belkhodja)

Marie-Sophie L. : La psy

Yannick Soulier : Alex, le compagnon de Violette

L’improvisation comme jeu :

Comme pouvait le faire Maurice Pialat, une des principales influences de la jeune Maïwenn, la réalisatrice privilégie le potentiel des acteurs à une mise en scène parfaitement millimétrée pour tirer le meilleur de chaque comédien.

Son jeu, comme celui des autres acteurs, est basé sur l’improvisation, qu’elle a imposée à tous ses interprètes :

« J’ai écrit un séquencier où j’ai résumé chacune des séquences parfois en 3 lignes, parfois en 10. De temps en temps, il y avait un bout de dialogue. Cela ne ressemblait donc pas à un scénario classique. Et c’est ce que les comédiens ont eu en main. Moi, j’écris de manière instinctive. J’ai besoin que ça ressemble à ma manière de parler. »

« Je leur ai dit dès le départ que je travaillais au maximum dans l’improvisation. Et certains comédiens ont d’ailleurs refusé de jouer dans le film à cause de ça. Ça m’a fait peur au début de les diriger. Mais comme je joue avec eux et que je distribue les cartes, cela s’est avéré plus facile. Mais tous les comédiens n’avaient pas les mêmes séquenciers. Certains étaient plus remplis d’annotations que d’autres ! Hélène ou Mélanie avaient quasiment un séquencier vide. Car je ne voulais pas qu’elles sachent ce qui allait se passer dans l’histoire avant de le vivre sur le plateau. J’ai dû rassurer certains de mes acteurs au départ. Mais je savais que j’étais dans le vrai. Je n’aurais de toute façon jamais pu écrire ce qu’ils m’ont donné en improvisation. »

Très peu de prises :

 «On faisait très peu de prises. Pour la scène du dîner de famille par exemple, on a pris toute une journée mais on n’a fait que deux prises une le matin et une l’après-midi. Parce que je tournais avec six caméras. Je n’avais donc pas besoin de faire les contre-champs.

Pas de  storyboard :                                                                                                          

« Je voulais que l’image soit tout sauf préparée. Comme l’improvisation était la règle, je tenais à ce qu’on soit sans cesse en mouvement. C’est pour cette raison que j’ai donné très peu d’indications à ma chef opératrice. J’avais envie qu’elle soit elle-même souvent surprise au point parfois de ne pas savoir qui filmer. Je souhaitais créer cette instabilité. Même chose pour l’équipe technique. J’avais tout dans ma tête mais je le gardais au maximum pour moi. »

[Toute la fin, chez la psy et fin, a été tournée par Claude LELOUCH : « Je voulais être choyée par quelqu’un que j’aime beaucoup, dit Maïwenn »].

Une caméra comme arme d’attaque et de défense : 

L’apport personnel de Maïwenn tient à l’intrusion d’une caméra amateur dans son film, dispositif qu’elle reprendra dans Le Bal des actrices et dans Polisse [appareil photo] L’affiche du film nous montre Maïwenn de façon frontale sa caméra vidéo en main, comme si elle filmait le spectateur mais l’écran est retourné vers nous.

Dans Pardonnez-moi, elle conserve cette caméra avec elle quasiment en toute circonstance. Il ne s’agit pas de tout filmer uniquement à travers cette petite caméra, mais de l’insérer dans le champ de vision pour ne jamais oublier que les scènes qui prennent vie ne sont que des scènes. Il est par ailleurs souvent fait allusion au fait que ce soit « du cinéma ».

Maïwenn filme son personnage (Violette) en train d’acheter cette caméra pour faire un film de famille. En dehors des questions pratiques et économiques de recourir à un matériel léger et peu coûteux, le choix d’introduire dans le récit la caméra offre diverses pistes significatives qui complexifient et enrichissent le propos du long métrage.

La caméra joue un rôle crucial dans le dispositif. L’objet apparaît rapidement comme une arme offensive, un révélateur censé contraindre les sujets filmés à avouer quelque chose, censé capter l’intimité de chacun, aider à la recherche du pardon et à la résolution d’un conflit (« Pour se construire il faut regarder le passé en face » surtitre l’affiche du film). Mais la caméra sert aussi de bouclier à Violette, d’écran face à la dureté des situations. En conservant la potentialité d’un regard extérieur, la jeune femme se protège elle-même contre toute agression trop violente. On pourrait dire qu’elle lui sert de pare-excitation « je me sens protégée », « forte, je peux affronter n’importe qui ».

Violette /Maïwenn a le fantasme de capturer avec cette caméra les éléments bruts de sa famille toxique, de les retenir pour ne pas les transmettre, au sens de l’ « appareil à penser les pensées » de Bion.

Ces deux usages de la caméra, offensive et défensive,  pourraient s’équilibrer,  mais la caméra prend une troisième dimension, celle du jeu et de la mise en scène. Violette/Maïwenn ne se contente pas d’aller sonner à la porte familiale pour demander des comptes, elle met en place des scenarii afin de provoquer, de pousser les gens dans leurs retranchements.

Une des premières scènes filmées via la petite caméra DV se déroule avec le compagnon de Violette. Alors qu’il commence à raconter leur rencontre, Violette lui demande d’expliquer à la caméra pourquoi l’homme a voulu qu’elle avorte un an plus tôt. Intentionnelle ou non, cette action contient une part de jeu, de mise en scène qui débouche forcément sur un conflit frontal. Violette ne cherche ainsi pas seulement à se confronter à une réalité difficile, mais joue à se mettre en danger face à des vérités qui dérangent.

Plus loin, c’est en usant de l’apparition du père inconnu de la benjamine de la famille que Maïwenn aborde les secrets familiaux. Là encore elle provoque l’étincelle qui va mettre le feu. A chaque fois, un coup de théâtre déclenche les révélations.

Cette troisième façon d’utiliser la caméra confère au film son style particulier mais confirme également la dimension de mise en scène au sens premier de ce que Maïwenn aurait aimé être la réalité. Elle dit en effet combien elle aurait aimé pouvoir faire un documentaire de sa famille réelle, interroger, harceler, demander des comptes à  son entourage, dans la réalité : « Cette histoire, c’est mon fantasme. Dans le film, mon personnage s’appelle Violette car ce n’est pas réellement moi dont il s’agit. Ce qu’elle vit est tout ce que j’aurais aimé qu’il m’arrive. Je pars d’un fait réel –les problèmes avec mon père qui ont existé – pour faire au cinéma ce que je n’ai pas eu le courage de faire dans la vie ».

Son film est un pur fantasme, dit-elle : qui donc de Violette ou de Maïwenn se sert de son film pour concrétiser ses angoisses ?

La discontinuité permanente du film où les changements de lieux, de scène, de temporalité, de personnages (l’enfant du générique ou celle du casting, par exemple,  est-ce Violette enfant ou Maïwenn ?) procèdent plus d’associations d’idées que d’une logique narrative, comme dans les rêves, dans le théâtre de l’inconscient. Comme dans le rêve [deux scènes de rêve dans le film], avec la perte des repères spatiaux-temporels, certaines scènes font irruption dans notre psychisme de spectateur qui ne peut les anticiper, et nous font éprouver une sorte de sidération : séquences d’images à la manière de réalisations hallucinatoires de désirs.  

Le décalage qu’introduit la caméra tout comme la présence d’un tiers (la thérapeute, l’amie qui accompagne Violette et assure une fonction contenante lors de sa confrontation à son père) participent au processus de transformation qui permet au traumatisme de devenir pensable. 

Derrière la caméra, les caméras, Maïwenn réalise évidemment son film, mais brouille les frontières en insérant dans la fiction des images d’archives de sa propre enfance… C’est une expérience cinématographique jusqu’au-boutiste, foutraque et un peu folle, sans doute unique en tout cas.

La musique :

Le choix de la musique du film est éclectique : « Il y a cette chanson de Montand, Trois petites notes de musique, que j’ai découverte dans L’Eté meurtrier, mais qui n’est pas un clin d’œil. Ses paroles font juste un écho parfait au film. Je l’ai mis dans mon montage au départ sans penser avoir les droits. Et finalement, quand Denis et François l’ont entendue sur mes images, ils ont accepté de les acquérir. Pour la musique de La Boum, ça a été un acharnement. Mon petit caprice. J’ai réussi à parler à Vladimir Cosma qui a consenti à un gros effort financier. J’ai eu énormément de chance. Et puis il y a Mirwais [Mirwais Ahmadzaï, producteur d’un des albums de Madonna], car au moment où j’écrivais le film, j’écoutais son disque en boucle. J’ai donc essayé de le contacter plutôt que d’engager quelqu’un qui ferait une musique à sa manière. J’ai donc envoyé un mail à sa maison de disque qui m’avait prévenue qu’il refusait tout et il m’a finalement répondu dès le lendemain. »

L’autofiction :

« J’ai décidé de ne pas faire de langue de bois. C’est très simple. Oui, j’ai été battue par mon père. Mais à part cela, tout ce que l’on voit dans le film est du bidouillage. Il y a un peu de vrai que j’ai entendu chez un tel, un peu de faux, un peu de mes fantasmes, un peu de mes failles… Je pense qu’un film c’est une mayonnaise ! Et puis, encore une fois, je n’invente ici rien en tant que réalisatrice. Chaque réalisateur se nourrit consciemment ou non des choses qui l’ont touché tout au long de sa vie ».

En 2004 déjà, Isild Le Besco, 21 ans à peine, filmait une fratrie proche de la sienne et livrée à elle-même dans Demi-tarif, magnifique et sauvage moyen-métrage sur l’enfance ravagée par une mère absente, incapable de prendre en charge ses enfants, où la grande sœur tente de combler le vide laissé par les fugues maternelles, jouant le rôle de petite maman alors qu’elle est encore elle-même une enfant.

Demi-tarif dépeint ainsi la vie des enfants, entre 6 et 9 ans (trois acteurs occasionnels), laissés à eux-mêmes pendant des mois, vivant de rapines et se réchauffant dans les cinémas, après que l’électricité de leur appartement parisien a été coupée. Sans qu’aucun adulte, hormis la directrice de leur collège, mais tellement mollement, ne se soucie vraiment de leur état misérable. Véritable cri de souffrance.

Dans Pardonnez-moi, l’omniprésence de Maïwenn réalisatrice, scénariste, interprète, peut donner le sentiment d’un jeu narcissique et complaisant, d’une thérapie sauvage. La sincérité attachante de l’auteur habitée par la colère, le chagrin, la soif de vérité et de reconnaissance, le besoin de consolation, ne suffit pas à faire œuvre.

Maïwenn se tire du piège par son talent, sa distance, qui lui permet de mettre en abyme les différents niveaux d’images, par le biais de films dans le film habilement utilisés, dans une sorte de férocité ludique.  

L’un des moments les plus émouvants du film sont  les images de casting utilisées par Maïwenn : C’est une enfant d’une dizaine d’années que le cadre serré épingle comme un papillon. Il lui manque quelques dents. Elle sourit face à la caméra. Quelqu’un l’interroge en voix off, insiste, sans délicatesse. Elle parle d’une bosse. Elle est «tombée dans le métro». Elle élude les questions trop intimes. Elle ne veut pas dire quand elle a «boudé pour la dernière fois»: «c’est ma vie privée», se défend-elle.

En quelques images d’archives, Maïwenn donne à voir son enfance abimée

Maïwenn déclare avoir été victime de maltraitance physique de la part de ses deux parents après la séparation de ceux-ci. Selon ses dires, elle aurait été battue par son père vers l’âge de sept ou huit ans, puis par sa mère durant son adolescence : « [Ma mère] a commencé à me frapper quand mon corps a changé, quand je suis devenue ado. Je sentais énormément de jalousie, elle n’arrivait plus à se positionner comme mère, elle se trouvait en concurrence. Je lui faisais peur. Ma mère dit que j’invente tout pour plaire aux journalistes, que j’ai trouvé mon fonds de commerce. Ma mère, c’est un poison pour moi. Elle me pourrit la vie. Elle épluche toutes mes interviews. Elle me harcèle d’un tsunami de mails et de messages sur mon portable comme quoi je suis mytho. Jamais elle ne se positionne comme la mère d’une victime. […] Elle a rédigé elle-même ma fiche Wikipédia, sans que je lui demande rien. […]. ».

Les secrets de famille :

La cinéaste et son double demandent réparation. Le principe directeur de ce vrai faux-film de famille repose sur la capacité du cinéma à faire éclater la vérité de la névrose familiale. En ce qui concerne les non-dits  autour de la conception de sa plus jeune sœur, là encore Maïwenn utilise des éléments autobiographiques, l’histoire de sa plus jeune sœur.

« Je veux que tu naisses dans la vérité » murmure Violette  au bébé qu’elle porte.

« Je ne supporte pas le moindre petit mensonge, dit Maïwenn.  Le mensonge a pris beaucoup de place dans notre famille dès mon enfance. Je crois être celle qui a été le moins confrontée à ces mensonges, néanmoins, j’en ai été la plus bouleversée ».

« Avec toi, la vérité, c’est une religion », m’a dit un ami. C’est tout à fait ça. Je tétanise tout le monde avec mon exigence de vérité et à vouloir être moi-même la plus « vraie » possible… » 

« J’ai découvert les bienfaits de la parole vers 15 ans, avec le père de ma fille. Avant, je ne parlais pas, je n’étais pas dans une famille où l’on s’exprimait. En fait, à cet âge, j’ai réalisé que la vie ne se passait pas comme je le croyais : on ne frappe pas, on se parle, dire ce que l’on ressent est salvateur… C’est une découverte vertigineuse : vous vous rendez compte que ce que vous avez vécu jusque-là est anormal. Il faut réapprendre à vivre. »

Mais Maïwenn expérimente aussi le fait qu’il n’y ait pas de vérité sans violence, l’adage bien connu « il n’y a que la vérité qui blesse ».

Un film comme un psychodrame :

A propos de la scène où Violette rend visite à son père pour le confronter à la violence qu’elle a subie enfant, Maïwenn déclare : « C’est en la scène qui m’a le plus troublée car, à un moment donné, j’ai été dépassée. Je me souviens précisément du moment où ça a basculé : quand ma tête frappe le sol. A ce moment-là, j’ai oublié le film, les acteurs, les  caméras… J’étais plombée par les souvenirs. Je n’avais jamais revécu ces moments. Et puis, une fois la scène terminée, je suis pourtant allée normalement derrière le combo et je n’ai montré à personne que j’étais à ce point troublée. C’est dur d’être chef d’orchestre car il ne faut jamais montrer qu’on doute et qu’on a mal. On vit ce film de manière très active. »

Les limites de la thérapie par la comédie :

La catharsis ne suffit pas. Le pardon, ce n’est qu’au cinéma que les parents le demandent ! [dit la psy à Violette]. Avec intelligence la cinéaste dit « S’il suffisait de faire des films pour que ça aille mieux, ce serait trop facile ! Non, les films n’ont pas amélioré mes relations familiales, ils ne les ont pas davantage abîmées non plus. Si mon métier est thérapeutique, c’est uniquement parce que, grâce au succès, j’ai plus confiance en moi, et que, de fait, je vais un peu mieux. Mais de là à dire, comme je le lis parfois : « Maïwenn s’en est sortie »… La question de savoir si je m’en suis sortie se pose dans ma vie intime, quand je me retrouve face à moi-même, face à ma famille, face aux hommes. Et la réponse, c’est : « Non, pas tant que cela. »

« Il y aura toujours des résidus, c’est normal. Passer son enfance à se faire taper dessus et à s’entendre dire que l’on n’est qu’une merde promise à un avenir de merde, et ce, par les deux personnes que l’on aime le plus au monde, comment voulez-vous qu’il n’en reste pas des traces à vie ? Comment voulez-vous qu’une fois adulte vous ne soyez pas condamné à reproduire des scénarios d’échec dans vos relations amoureuses ? ».

« C’est grâce à ton enfance que tu fais ce que tu fais », me dit souvent ma mère. OK ! Dans ce cas, je veux bien rendre tous les films et toute la reconnaissance en échange de l’amour dont j’ai manqué ! Rien ne comblera mes blessures, je l’accepte.

 La maltraitance :

« Un enfant violenté physiquement et verbalement par ceux qu’il aime a l’impression que les coups sont sa seule occasion de recevoir de l’attention. Donc, dès qu’il est en manque d’amour, il ressent le besoin de souffrir. Pendant des années, j’ai été amenée à me taper la tête contre les murs ou à me taillader les bras. Pour que l’on m’aime, pour que l’on s’occupe de moi ». Dit Maïwenn. C’est ce que Violette fait également dans le film.

Maïwenn nous donne à voir une parentalité dysfonctionnelle avec toutes ses composantes :

Des antécédents de rejet et d’abandon. La mise en danger, l’insécurité fondamentale d’  enfants exposés à survivre sans étayage sécurisant. Les  carences narcissiques dues aux discontinuités de la préoccupation maternelle et des  soins parentaux.  Plus tard l’enfant projettera cette haine à l’extérieur, sur un tiers, détruisant la relation à l’autre qui se veut bien traitant (c’est ce que la thérapeute verbalise à Violette) où l’intériorisera et l’éprouvera à l’égard de lui-même, allant d’échec en échec.

La pauvreté et l’inauthenticité des relations affectives avec un père froid et brutal, peu accessible à ses émotions, incapable de les exprimer, une mère qui « déborde » au contraire dans l’expression de ce qu’elle ressent, dans l’impossibilité de canaliser ses émotions pour les exprimer par des mots choisis et adéquats. C’est donc une violence à la fois physique et psychologique, l’enfant est chosifié comme un objet au service de celui qui l’utilise pour compenser ses propres traumatismes ou complexes refoulés. Enfant phallus pour la mère, portant ses espoirs, elle tient la position de fétiche dont le propre est d’être un objet inanimé dont le propriétaire jouit comme bon lui semble.

Des attentes irréalistes et des projections sur l’enfant de frustrations parentales, sans qu’elles soient accompagnées d’un quelconque encouragement ou éloge mais avec au contraire des menaces ou des humiliations. L’enfant devient lieu de projections d’une hostilité, d’une destructivité,  dont il ne saisit pas le sens. Il ne sait pas que cette maltraitance qui vise l’enfant narcissique est une maltraitance fondée sur la déception et les failles narcissiques souvent profondes des parents. Il reste coincé dans cette énigme durable « qu’ai-je fait pour mériter cela ? ».

Une inversion des rôles permanente, personne n’étant à sa place [la mère est infantile et a besoin de réassurance narcissique de la part de sa fille ; Violette dont les désirs œdipiens resurgissent avec la grossesse, est attirée par le père biologique de sa sœur, celui-ci confond à son tour tendresse et séduction]. L’enfant devenu mature trop tôt, privé d’enfance, ne peut être insouciant, confiant en lui-même et en l’autre. Les idéaux identificatoires sont inversés, la différence symbolique s’estompe : comment alors exister comme symboliquement différent et différencié d’avec sa famille ?

Dans certains moments d’indifférenciation des générations, le sexuel cru fait irruption et l’excitation est palpable dans un climat incestuel : dans la scène du repas d’anniversaire de Violette, par exemple,  où toutes les femmes présentes s’allient contre le père dans une blague contre les hommes [« les hommes, c’est comme le pruneau, tu le suces, le lendemain il te fait chier »] ou dans la possible séduction du père biologique de la plus jeune sœur.

Comme lors de violences sexuelles, il y a en effet dans la maltraitance physique, où il s’agit aussi du rapport au corps,  une « confusion de langue ». L’acte agressif est fondamentalement sexualisé. La violence physique des parents a valeur de relation sexuelle incestueuse (on connait depuis Freud, On bat un enfant, l’équivalence inconsciente entre la représentation « être battu » et le fantasme d’avoir une relation sexuelle avec le père).

Le fantasme « un enfant est battu » met en évidence, selon Freud, une position masochiste refoulée. Il révèle un masochisme primordial par lequel le sujet jouit d’être battu par son père, mise en scène de la castration. Chez les enfants réellement battus, on peut penser que ce temps masochiste n’est pas refoulé mais au contraire fixé par la jouissance de l’Autre inscrite dans son corps. Ce qui était latent dans l’inconscient s’articule alors à une réalité où les violences vont s’inscrire dans le corps et s’inclure dans une relation aliénante. Les coups constituent un traumatisme qui entrave la castration et la traversée de l’Œdipe.

Lorsque dans la réalité, l’adulte bat un enfant et que la violence physique touche au réel du corps dans un mélange de jouissances, comme dans les violences sexuelles, il y a  la même peur d’anéantissement qui produit les mêmes mécanismes de défense : se soumettre à l’agresseur, s’identifier à lui, l’introjecter (la réalité extérieure devient intrapsychique et donc soumise aux processus primaires). Par identification anxieuse avec  l’adulte, écrit Ferenczi (Confusion de langue entre les adultes et les enfants), l’enfant introjecte le sentiment de culpabilité de l’adulte : c’est lui qui mérite cette punition [« Si l’enfant se remet d’une telle agression, il en ressent une énorme confusion ; à vrai dire, il est déjà clivé, à la fois innocent et coupable, et sa confiance dans le témoignage de ses propres sens en est brisé. S’y ajoute le comportement grossier de l’adulte, encore plus irrité et tourmenté par le remords, ce qui rend l’enfant encore plus conscient de sa faute et encore plus honteux. »].

La culpabilité accompagne la honte : Honte pour l’enfant de cet autre qui ne peut l’aimer, ou qui ne peut que l’aimer de cette façon « anormale » et  honte de l’aimer quand même, de rechercher son amour. Honte de son ou ses parents et honte de soi-même [Maïwenn dit sa honte à l’adolescence de découvrir que la vie dont elle ne pensait pas souffrir, enfant, car elle était sa norme, sa vie,  n’était pas celle des autres, n’était pas « normale » : « là, c’était l’enfer : les gens que j’aime le plus au monde, sont ceux qui m’ont fait le plus de mal ! »]

L’enfant  est toujours dans l’attente d’une punition imminente, envers une faute dont on sait qu’elle existe mais dont on ignore la nature exacte ou dont la valeur imaginée est disproportionnée à sa valeur réelle, l’angoisse de punition est alors si forte qu’elle envahit tout le champ de la conscience. L’inconscient a besoin de causalité ((P. Aulagnier). l’enfant  ne peut que se percevoir comme mauvais et coupable de ne pas être aimé, ce que M. Enriquez (Aux carrefours de la haine, 1984) décrit dans cette formule : « le sujet préfère toujours la culpabilité à la détresse ».

Le titre : un pardon ?

Le titre du film, Pardonnez-moi, a  un sens équivoque : Comment doit-on l’entendre ?

« Dans mon milieu bobo, de gauche, psycho-Françoise-Dolto, on m’a toujours dit : « Arrête de croire que quand le bourreau demande pardon à sa victime, cela règle en partie le problème» ». Maïwenn  dit s’être rapprochée quelque peu de son père [qu’elle a dirigé dans Polisse] tout en conservant avec sa mère des rapports conflictuels : « Mon père m’a maltraitée physiquement et verbalement. Mais il le reconnaît, c’est important. Ma mère, qui a été physiquement violente jusqu’à mes 15 ans, continue de nier. »

Toujours parlant de sa mère, Maïwenn dit : « Je veux bien pardonner, mais pas oublier. Il est hors de question que je fasse comme si rien ne s’était passé. Mais c’est ce qu’elle a tendance à faire. Et ça me rend folle ! C’est pour cela que je réactive sans cesse ma mémoire : pour lutter contre son rejet de la vérité ».

Dans le film, ce qui est primordial en effet, c’est la reconnaissance des faits, la levée des non-dits.

La quête de vérité est le leitmotiv du film. La reconnaissance du vécu, de la souffrance de Violette y est présentée comme une étape vitale pour se construire et construire sa propre famille.

Le moment du récit est important : Violette est enceinte. C’est à l’aube de ce changement de place générationnelle qu’elle est rattrapée par la relation traumatique à son père. La recherche de vérité permettrait selon elle de délester l’enfant à venir de sa propre souffrance, de ne pas transmettre à son bébé sa propre détresse. Comme si en faisant resurgir les éléments traumatiques, en les fixant par l’image, elle allait les neutraliser et protéger son bébé de leur destructivité. Violette veut mettre au monde son enfant une fois que « tout est dit » dans l’illusion d’une possible transparence totale.

Elle se heurte ainsi aux mythes familiaux, au risque d’y perdre sa place, si fragile soit-elle (plusieurs scènes montrent un rapproché entre les sœurs et le père, entre la mère et le père, dont semble toujours exclue Violette, d’autres la montrent régressant à l’état de petite-fille, par la voix ou par l’attitude),  mythes familiaux dont la réalisatrice nous dit peu de choses : l’histoire familiale n’est pas évoquée, on ne sait rien de la rencontre des parents (le couple et évoqué de façon décalée par la mère).

A la fin du film, La thérapeute néanmoins, ouvre une voie à Violette en l’aidant faire un pas de côté par rapport à son exigence de demande de pardon, à sortir de la répétition et du passage à l’acte [Violette est confrontée à cette règle impitoyable du fonctionnement psychique : on ne peut se séparer que d’un objet satisfaisant], à lâcher son attente d’un amour que ses parents ne peuvent donner et sa souffrance infinie : « Il ne vous demandera jamais pardon Violette » lui dit-elle. Et dans la pratique, les parents maltraitants demandent en effet très rarement pardon ! « Toute cette énergie de haine et cette attente que vous tournez vers votre père, elle est séquestrée. Vous devez la libérer, à vous de pardonner. C’est pourtant de toute cette violence que vous tirez votre force, Violette, cette énergie d’artiste qui crée, cette souffrance, vous la lui devez. Il pourrait y avoir une reconnaissance de votre part et le pardon viendrait de là. Il faut lâcher, vous marchez à reculons ».

Pourtant le titre n’est pas « Le pardon » ou « je vous pardonne ». Il n’y est pas question de pardonner à son père ou à sa famille.

Alors de quoi le personnage ou l’auteur doit-elle se faire pardonner ? D’oser parler, « ouvrir sa gueule » ? D’agresser son entourage ? De nous prendre à témoin de son désespoir et de son aliénation à ces premiers objets d’amour que sont les parents ? De nous faire éprouver la tension excitante masochiste qui l’anime ? D’exister ?

« L’amour est toujours incertain, la haine toujours sûre » écrit André Green (1990, La folie privée), « renoncer à l’objet violent, c’est renoncer à le haïr ; mais découvrir une possibilité d’amour avec un autre objet, c’est littéralement faire disparaître de soi l’objet haï, et d’une certaine manière,  l’anéantir. Il y a donc une culpabilité à haïr l’objet, mais il y en a une autre aussi, et sans doute une plus grande, à ne plus le haïr pour en aimer un autre ».

On peut associer la demande de pardon du titre au pardon biblique dont parle Julia Kristeva dans son séminaire « Cet incroyable besoin de croire », à la Maison de l’Adolescent- Maison verte Solenn, séminaire en collaboration avec  Marie-Rose Moro. : « Je dois demander pardon à celui que j’ai offensé, lésé ou blessé ; il doit accepter ma demande ; il doit m’en pardonner, c’est-à-dire « recouvrir » l’offense, la lésion ou la blessure par une parole qui l’apaise et qui m’apaise. Dieu alors peut m’en pardonner. »

« Demander pardon pour le mal commis, accorder son pardon pour le mal subi sont deux conditions nécessaires pour que cesse cette hypothèque, pour que l’avenir cesse de répéter le passé et que l’espoir renaisse. Pardon et promesse sont liés en ceci qu’ils modifient le temps : l’un (le pardon) ouvre le passé, l’autre (l’avenir) stabilise l’avenir. »

« Le pardon s’adresse à la personne, non à l’acte (…) En s’adressant à quelqu’un et non à quelque chose, le pardon se dévoile comme acte d’amour »

A propos de Dostoïevski, elle poursuit : « L’imaginaire est cet étrange lieu où le sujet risque son identité, se perd jusqu’au seuil du mal, du crime ou de l’asymbolie, pour les traverser et en témoigner… depuis un ailleurs. Espace dédoublé, il ne tient qu’à être solidement accroché à l’idéal qui autorise la violence destructrice à se dire au lieu de se faire. C’est la sublimation, elle a besoin du par-don. Ecrivons–le avec un tiré : par-don. ».

[On peut penser que si Violette/Maïwenn a pu vivre sa vie, survivre, c’est parce qu’en tant qu’actrice, dès l’enfance, elle a pu « jouer sa vie » aux deux sens du terme, au prix du clivage et du déni certes, mais développant ainsi sa créativité, son jeu/je].

« Lorsque Freud prétend qu’il « réussit là où le paranoïaque échoue  », il entend certainement que la psychanalyse désamorce la haine persécutrice que le paranoïaque voue à l’autre, que les humains se vouent passionnément (…) Si la psychanalyse réussit là où le paranoïaque échoue, ce n’est pas parce qu’elle nous apprend à « aimer le Moi », ni même à « aimer l’autre » (comme on le dit à la légère) – ce qui n’est déjà pas facile – sous un ciel sans Dieu. La révolution freudienne consiste à remplacer ce pardon qui fut inventé pour arrêter le temps jugeant au nom du dogme de l’amour (de Dieu ou du prochain) – par l’interprétation des diverses variantes de la haine qui alimentent un symptôme. Mais l’ambition analytique de réussir là où le paranoïaque échoue (à dénouer la « folle vérité » de la haine) ne peut qu’être inséparable d’une autre ambition : celle de réussir là où le pardon théologique promet une re-naissance du sujet dans une nouvelle temporalité (…) ».

Si la religion pardonnante est reçue comme une promesse qui assure la vie psychique, « L’interprétation psychanalytique est un par-don : une re-naissance de l’appareil psychique, avec et par-delà la haine porteuse du désir, que la religion connaît- méconnaît et dont elle se défend. L’interprétation est un pardon qui se donne l’ambition, par l’affinement de ses modèles et ses formulations, de rendre possible la renaissance psychique. Elle reconnait le besoin de croire et le conduit au  désir de savoir, pour ainsi seulement créer de nouveaux liens : de re-naissances… ».

« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » (Baudelaire Les fleurs du mal). Maïwenn s’est autorisée à s’inspirer de son histoire familiale, à mettre sa souffrance au service de sa créativité, à se déprendre de la position de déchet où on pouvait l’assigner [non, on n’a pas envie que Maïwenn/Violette filme sa crotte !], à devenir sujet au double sens du mot de son œuvre, la créativité étant toujours au cœur du processus de subjectivation, à transmettre en faisant ainsi passer du singulier au collectif [ on répond avec elle « oui » à la question du père biologique de la sœur de Violette lors de leur échanges sur son projet de « biographie dans le cinéma », « Peut-on intéresser tout le monde avec des histoires qui ne regardent que soi et ses proches ? »].

Tout cela avec un grand courage [« N’en déplaise aux paroles elles-mêmes, étant donné les habitudes que dans tant de bouches infectes elles ont contactées, il faut un certain courage pour se décider non seulement à écrire, mais même à parler. Un tas de vieux chiffons pas à prendre avec des pincettes, voilà ce qu’o nous offre à remuer, à secouer, à changer de place. (…)  Une seule issue : parler contre les paroles. » (Francis Ponge, Proêmes, « Des raisons d’écrire », II).]

Publié par Psy-Troyes

Psychologue, psychothérapeute, psychanalyste

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