Marguerite DURAS

Aujourd’hui 4 avril 2014, nous commémorons le centenaire de la naissance de Marguerite DURAS née le 4 avril 1914 et décédée le 3 mars 1996. Elle fut l’un des écrivains les plus importants du XXème siècle et ses écrits qui résistent au temps qui passe sont de précieux témoignages sur les processus d’écriture.

Ecrire a été son dernier ouvrage, texte testamentaire publié en 1993. Elle y expose son rapport intime et vital à l’écriture :

« Il y a une folie d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire.

L’écriture c’est l’inconnu. Avant d’écrire on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.

C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est  même pas une réflexion, écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie.

Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.

Ecrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après- avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi.

L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »

Cinquante ans d’une voix singulière, d’une peinture des sensations et des émotions qui prend pour motifs récurrents l’amour, l’enfance, la souffrance, la folie, la solitude, avec la vie, sa vie, devenue matériau de son écriture, à travers ses métamorphoses narratives et stylistiques.

Marguerite DONNADIEU naît à Gia Dinh, près de l’actuelle Saïgon, le 4 avril 1914.

Son père meurt en 1921 et sa mère Marie, enseignante, la fait voyager au gré de ses affectations à travers l’Asie : la Chine, l’Indochine, la Cochinchine, le Cambodge, dont les paysages plus ou moins fantasmés, liés à tout jamais à l’enfance, serviront de toile de fond aux œuvres littéraires, ainsi Sadec, par exemple, où la toute jeune héroïne de L’Amant (1984) rencontre « le chinois » ou la plantation maternelle de Prey Nop, toujours menacée par les moussons, dans Un barrage contre le Pacifique.

L’enfance et la famille : la mère dont la personnalité ambivalente est au centre de la « trilogie indochinoise » [Un barrage contre le Pacifique (1950), L’Amant (1984) et L’Amant de la Chine du nord (1991)], les frères : Paul fragile et aimé, Pierre, violent et détesté.

Marguerite arrive à Paris en 1933, elle y rencontre en 1937 le poète Robert Antelme qu’elle épouse en 1939.

Employée au Ministère des Colonies puis au « Comité d’Organisation des Industries, Arts et commerce du livre » (chargé d’attribuer le papier aux différents éditeurs sous le gouvernement de Vichy), elle finit par s’engager dans la résistance en 1943.

Robert Antelme est arrêté et déporté à Dachau en 1944 pour onze mois de captivité [le journal tenu par Marguerite Duras durant sa captivité sera publié en 1985 sous le titre La Douleur].

A partir de 1942, Marguerite Duras entretient une relation amoureuse avec Dionys Mascolo ( dont elle a un fils : Jean), qui vit avec le couple à Saint Germain des Prés, au 5 rue Saint Benoit, formant avec les intellectuels qu’ils y reçoivent (Francis Ponge, Michel Leiris, Maurice Blanchot, Maurice Merleau-Ponty, Jorge Semprun, Edgar Morin etc.), le « Groupe de la rue Saint Benoit ».

Marguerite qui n’a pu garder le nom d’un père mort mais qui s’est donné le pseudonyme de DURAS en référence aux origines de ce père, a publié un premier roman en 1943 chez Plon : Les impudents. Elle est remarquée par Raymond Queneau et elle publie en 1950, chez Gallimard, Un barrage contre le Pacifique qui est sélectionné pour le Prix Goncourt et qui sera adapté au cinéma en 1957, par René Clément.

Suivront plusieurs succès de librairie, de théâtre (la pièce Des journées entières dans les arbres est montée en 1965, à l’Odéon par Jean-Louis Barrault, avec Madeleine Renaud) ou de cinéma (Hiroshima mon amour, scénario écrit pour Alain Resnais en 1959):

Moderato Cantabile (1958)

Le ravissement de Lol V. Stein (1964)

Le vice-consul (1966)

Le ravissement de Lol V. Stein ne laisse pas indifférent Jacques LACAN qui participe aux soirées organisées rue Saint Benoit.  Celui-ci écrit en 1965 un « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V. Stein« , paru dans les Cahiers Renault-Barrault, Paris Gallimard 1965 n°52, pp.7-15,  à lire sur :

http://www.litt-and-co.org/citations_SH/l-q_SH/lacan-duras.htm

[2 études de ce texte :

– Esther Tellermann http://www.freud-lacan.com/articles/article.php?url_article=etellermann140102

– Daniela Veres http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2008.veres_d&part=156613 ]

A ce moment de sa vie, Marguerite Duras traverse une crise profonde, face aux limites de son écriture, confrontée à ses excès d’alcool, au sortir d’une relation tumultueuse avec Gérard Jarlot et prise dans une jouissance destructrice de plus en plus croissante. Elle se retire alors dans la solitude de Trouville où elle vient d’acheter un appartement aux « Roches Noires », hôtel où Proust écrivit avant elle. Elle y trouve un style nouveau avec Le ravissement de Lol V. Stein qui, tout en la confrontant au vide, à la perte, marque un tournant dans sa production littéraire : « Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi-totale et découvrir que seule l’écriture vous sauvera ».

Le processus d’écriture chez Marguerite Duras anticipe les futurs travaux de Jacques Lacan car il relève de la fonction du sinthome, terme que Jacques Lacan inventera à propos de la fonction de l’écriture chez James Joyce et auquel il consacrera un séminaire en 1975-1976 : contre la menace de dissolution, l’écriture constitue une invention du sujet, initiant un nouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire, elle permet de les faire tenir.

Confrontée à une mère qui perdit la raison, à un père mort, Marguerite Duras s’est créé une écriture qui puisse la tenir.

Jacques Lacan écrit dans son « hommage à Marguerite Duras » : « Elle ne doit pas savoir qu’elle écrit ce qu’elle écrit. Parce qu’elle se perdrait. Et ça serait la catastrophe ».

Dans Ecrire, vingt-huit ans plus tard, marguerite Duras reprend cette phrase de Lacan  et écrit : « C’est devenu pour moi, cette phrase, comme une sorte d’identité de principe, d’un « droit de dire » totalement ignoré des femmes » (p.24).

A la fin des années 60, Marguerite Duras se tourne vers le cinéma : elle tourne La musica (1966), Détruire, dit-elle (1969), Nathalie Granger (1972), La femme du Gange (1973), India song (1974), Le camion (1977).

C’est en 1980 qu’elle rencontre Yann Andrea, étudiant en philosophie de 27 ans, homosexuel, qui lui adressait des poèmes depuis cinq ans. Il sera son dernier compagnon.

En 1984 paraît L’Amant, récit d’inspiration autobiographique, qui marque son retour sur la scène littéraire et la fait connaître du grand public grâce au Prix Goncourt (2,5 millions de livres vendus à ce jour en français, plus de trente traductions étrangères).

Sept ans plus tard le film est adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud. Marguerite Duras qui dit détester ce film, publie alors en réponse, L’Amant de la chine du nord (1991), nouveau succès de librairie.

Sa célébrité d’alors l’expose sur la scène médiatique : paraissent entre 1985 et 1986, une série d’entretiens avec François Mitterand dont elle est l’amie depuis 1943, devenu Président de la République, mais aussi son article de Juillet 1985 dans Libération, sur « l’affaire Grégory »,présent dans toutes les mémoires et qui contribue à ternir et à ridiculiser son image : « Sublime, forcément sublime Christine V. ».

Ecrire (1993) sera son dernier livre et elle meurt à 81 ans, le 3 mars 1996.

Publié par Psy-Troyes

Psychologue, psychothérapeute, psychanalyste

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