La névrose traumatique :
On peut parler de névrose traumatique à propos des deux personnages, Al et Birdy, la névrose traumatique désignant les troubles psychiques qui surgissent au décours d’un choc affectif très intense, parfois après un temps de latence plus ou moins long : « type de névrose où l’apparition des symptômes est consécutive à un choc émotionnel généralement lié à une situation où le sujet a senti sa vie menacée. Elle se manifeste, au moment du choc, par une crise anxieuse paroxystique pouvant provoquer des états d’agitation, de stupeur ou de confusion mentale.
Le traumatisme prend une part déterminante dans le contenu même des symptômes (ressassement de l’événement traumatisant, cauchemars répétitifs, troubles du sommeil, etc.), qui apparaît comme une tentative répétée pour « lier » et abréagir le trauma ; une pareille « fixation au trauma » s’accompagne d’une inhibition plus ou moins généralisée de l’activité du sujet » (définition de J. Laplanche et J.-B. Pontalis dans Le vocabulaire de la Psychanalyse).
La catégorisation dans le groupe des névroses pose d’emblée problème. Les deux personnages sont traumatisés, de façon différente (suite à une blessure somatique pour Al, suite à une blessure psychique en ce qui concerne Birdy), de façon différente également du fait de leur personnalité, de leur structure différente, mais ils sont tous deux victimes de l’horreur de la guerre et de ce qu’elle provoque chez ces jeunes gens encore à peine sortis de l’adolescence.
Evolution du concept de névrose traumatique :
L’intrusion de quelque chose d’impensable venant bouleverser l’existence d’un sujet et le plonger dans une souffrance psychique existe depuis l’aube de l’humanité, depuis que le développement du cerveau humain permet avec l’apparition du langage, une certaine représentation de la mort. Des textes depuis l’Antiquité gréco-romaine témoignent des troubles qu’identifie le DSM.
Par exemple :
– A propos d’Epizelos, après l’affrontement des Perses et des Athéniens, lors de la Bataille de Marathon (490 Av J.C.), Hérodote écrit « tout le reste de sa vie, il demeura aveugle. On m’a dit qu’en parlant de son accident, il lui avait semblé voir en face de lui un homme de grande taille et pesamment armé, dont la barbe ombrageait tout le bouclier ; ce spectre l’avait dépassé et avait tué son voisin dans le rang » (Histoires, livre VI, v.117-119)
– Lucrèce (100-55 av.J.C.) dans le livre IV du De Natura Rerum, consacré aux « Simulacres et terreurs dont ils sont les causes » : « les hommes dont l’esprit est occupé des grandes et violentes actions qu’ils ont accomplies, répètent et revivent leurs exploits dans leurs rêves (…) Beaucoup affrontent la mort. Beaucoup, croyant tomber à terre de tout le poids de leur corps du haut de montagnes, sont éperdus de terreur, et une fois tirés du sommeil, ils ont peine à retrouver leurs esprits » (v.1010-1024).
– Ambroise Paré aurait rapporté à Sully, ces propos du roi Charles IX, âgé de 22 ans, quelques jours après le massacre de la Saint-Barthélemy (22-24 Août 1572) : « Ambroise, je ne sais ce qui m’est survenu depuis deux ou trois jours, mais je me trouve l’esprit et le corps tout aussi émus que si j’avais la fièvre. Il me semble à tout moment, aussi bien veillant que dormant, que ces corps massacrés se présentent à moi les faces hideuses et couvertes de sang » (cité par J.L. Vaudoyer, Ambroise Paré et les Valois, 1936, p.52-54). Charles IX meurt deux ans après, de remords selon certains, fou selon d’autres…
A la fin du XIXème siècle avec les victimes des premiers accidents de chemin de fer apparaît la notion de « railway brain » ou « railway spine » (les troubles neuropsychiques observés seraient provoqués par des microlésions de la moelle épinière et des racines médullaires).
Le terme de « névrose traumatique » est créé par H. OPPENHEIM (1889) qui rapporte des observations cliniques minutieuses de cas survenus après traumatisme réel, affection organique selon lui, accompagnée de symptômes psychiques.
Ce sont les grands conflits armés de la fin du XIXème siècle (particulièrement la guerre de Sécession américaine, 1861-1865, 1ère guerre « moderne » au sens de l’utilisation intensive des armes lourdes [canons]) et surtout ensuite la 1ère guerre mondiale qui seront des laboratoires de recherche et de réflexion en psychiatrie, et qui permettront de dépasser l’explication des troubles basée sur la neurologie organique.
La psychanalyse, née à la même époque que cette notion de névrose traumatique, dans la nouveauté radicale de sa compréhension et de son traitement des névroses, ne peut que s’interroger sur le statut du réel et de la réalité vécue de la menace.
Par leur connaissance des idées de FREUD et leur application dans la prise en charge des patients, les britanniques (études de Th.R. GLYNN), apporteront une contribution essentielle à la compréhension de la névrose traumatique. En France au contraire, sous l’influence de BABINSKI, élève de Charcot, le traumatisé est plutôt considéré comme un simulateur qu’il faut « redresser » et ce sont les médecins psychiatres, engagés au front, qui tenteront de faire évoluer les préjugés.
La guerre de 14-18 qui bouleverse le monde entier, bouleverse également les élaborations freudiennes avec le retour fracassant de la mort, les rêves répétitifs des traumatisés conduisant FREUD à la notion de compulsion de répétition et au nouveau dualisme pulsion de vie /pulsion de mort [1920 Au-delà du principe de plaisir].
En 1918 le Vème Congrès international de Budapest, où participent FREUD, FERENCZI, ABRAHAM, SIMMEL et JONES, répond aux détracteurs de la psychanalyse et de la théorie de l’inconscient, en montrant que la névrose de guerre a une parenté avec les névroses de transfert et l’hystérie. La présentation de FREUD sera reprise l’année suivante dans l’article « Introduction à la psychanalyse des névroses de guerre ».
En 1920 a lieu à Vienne le 1er grand débat sur le statut de la névrose de guerre avec le procès d’un psychiatre, Julius Wagner-Jauregg, accusé d’avoir utilisé un traitement à l’électricité sur des soldats, traumatisés, considérés comme des simulateurs. FREUD est convoqué en tant qu’expert par la commission d’enquête. Il se montre modéré vis-à-vis du psychiatre mais très critique à l’égard de la méthode : « tous les névrosés sont des simulateurs, ils simulent sans le savoir et c’est là leur maladie » dit-il.
En 1921 Psychologie des foules et analyse du moi, constitue un apport fondamental du modèle psychanalytique des névroses traumatiques.
De 1920 et 1970, l’histoire psychiatrique de la névrose traumatique n’a que peu évolué. Les cataclysmes de la seconde guerre mondiale de 1939-1945, les camps d’extermination nazis, les crimes de guerre japonais, les bombardements nucléaires, les cruelles guerres de libération, les terrorismes, les catastrophes naturelles et industrielles ne susciteront guère de conceptions nouvelles (à peine peut-on mentionner les réflexions en Grande-Bretagne, autour des thèses de John RICKMAN et Wilfried Ruprecht BION), jusqu’à la fin des années 70, au prix d’un changement de nom : la dénomination nouvelle, de 1978, « état de stress post-traumatique » (PTSD) qui accèdera à une reconnaissance internationale et à l’adoption dans le langage courant.
FREUD :
Pour FREUD le traumatisme provoque une effraction de la barrière de défense de l’appareil psychique (dont il donne une image métaphorique dans « Note sur le bloc-notes magique », Résultats, idées, problèmes II, PUF, p.119-124). D’extérieur dans le cas de la névrose traumatique, le trauma devient interne (comme c’est le cas dans les névroses de transfert), une trop grande quantité d’excitation venant rompre le système de pare-excitation, l’enveloppe psychique.
Il introduit le terme d’ « effroi » (der schreck) qui désigne la réaction à un danger massif auquel le sujet n’est pas préparé par un état d’angoisse préalable et dont il ne peut se protéger ou qu’il ne peut maîtriser. Tandis que l’angoisse désigne un état d’attente d’un danger et un mode de préparation au danger, même s’il est inconnu, c’est la surprise qui est prégnante dans l’effroi. L’effroi est une condition déterminante de la névrose traumatique et celle-ci sera ainsi désignée parfois comme « névrose d’effroi ».
Lors du remaniement de la théorie de l’angoisse (Inhibition, symptôme et angoisse, 1926), FREUD proposera une distinction entre angoisse signal (dispositif mis en action par le moi, devant une situation de danger, de façon à éviter d’être débordé par l’afflux des excitations) et angoisse automatique (réaction du sujet à un afflux d’excitations, d’origine externe ou interne, qu’il est incapable de maîtriser) ainsi que le terme realangst = angoisse devant un danger réel, angoisse devant un danger extérieur qui constitue une menace pour le sujet.
Analysant l’expression PTSD, C. BARROIS indique que le terme de « stress » concerne essentiellement ce qu’on désigne en psychanalyse, par angoisse automatique, submergeant tellement les possibilités de défense et de secondarisation de la pensée que se crée la situation traumatique.
Les symptômes (ressassement de l’événement traumatique, cauchemars répétitifs, troubles du sommeil etc.) sont pour FREUD, une tentative répétée pour lier et abréagir le trauma, pour transformer l’effroi en angoisse, pour recréer chez le sujet un état d’angoisse, angoisse dont l’absence a été la cause de la névrose traumatique.
FREUD précisera dans Inhibition, symptôme et angoisse, que lorsque la barrière de défense est pulvérisée par un agent traumatique, c’est le narcissisme qui est en danger.
FREUD considère les troubles de la névrose traumatique comme des états proches des névroses narcissiques, ce que nous considérons actuellement comme des états psychotiques.
[en 1924, FREUD fait une distinction entre :
– Névroses actuelles : névroses d’angoisse, hypocondrie, neurasthénie)
– Névroses de transfert (hystérie, névrose obsessionnelle, hystérie d’angoisse, névrose phobique)
– Névroses narcissiques (manie et mélancolie, syndromes délirants, confusions hallucinatoires, paranoïa, paraphrénie)
– Démences précoces (devenues le groupe des Schizophrénies)]
Les névroses traumatiques ne rentrent pas dans le moule ni des névroses au sens psychanalytique, ni dans celui des psychoses.
Comme le notait FERENCZI, une explosion de bombe, si elle est suffisamment intense, rend tout être humain « fou, inconscient, sans connaissance » de même que la fièvre quand elle est élevée « rend tout être humain délirant ».
Selon FREUD, le traumatisme qui agit comme un élément déclenchant, est révélateur d’une structure névrotique préexistante, la guerre étant le second temps, le temps de l’après-coup d’un traumatisme infantile.
FREUD insiste sur le caractère abstrait de la mort pour l’appareil psychique : il n’y a que des morts, des cadavres. La mort, c’est toujours la mort de l’autre et il n’y a pas de place dans l’inconscient pour l’idée de sa propre mort. Mais comme dans les contes, dans les mythes, la mort rôde sous ses différents masques, avec le traumatisme psychique, « de rôdeuse, la mort devient « bondissante », rate son coup, et laisse cependant sa marque, souvent ineffaçable, sur le sujet » (Claude BARROIS, Les névroses traumatiques, Dunod, p.9). La question de l’angoisse et de la mort risquée ou imminente, est immanente à notre finitude et l’invariant de l’agent traumatisant est son lien avec la mort.
FERENCZI :
Devant soigner des névroses de guerre durant le 1er conflit mondial, FERENCZI réhabilite le trauma, au centre de sa pensée, dans un questionnement inlassable, un trauma qui diffère de celui que FREUD évoquait au début de sa théorisation car il ne s’agit pas d’une résurgence de souvenirs mais au contraire d’une impossibilité de verbalisation (c’est selon FERENCZI, la négation du vécu de l’enfant qui transforme la « scène » en trauma).
FERENCZI évoque la névrose traumatique dès 1908, dans l’article « Les névroses à la lumière de l’enseignement de FREUD et de la psychanalyse » : « La frayeur, les chocs psychiques, les accidents peuvent également déclencher la névrose de par leur force traumatique. Mais seuls les facteurs sexuels peuvent être considérés comme la cause spécifique des névroses ».
En 1916, alors qu’il est mobilisé comme médecin chef du service de Neurologie de l’Hôpital Militaire Marie-Valeria, il donne une conférence intitulée « Deux types de névrose de guerre » à partir de 200 cas, hystéries de conversion.
Le 28 septembre 1918, il présente au Vème Congrès International de Budapest une communication : « Psychanalyse des névroses de guerre » où il critique les théories organicistes ainsi que les soupçons de simulation, dénonçant comme l’aspect le plus traumatisant du choc psychique, le non-dit, le silence qui transforme l’expérience douloureuse dramatique en une enclave morte-vivante dans la psychè du sujet.
Comme pour FREUD à cette époque, les névroses traumatiques sont du registre des névroses narcissiques (et non des névroses de transfert).
FERENCZI tient néanmoins compte de la réalité, dans les rêves, dit-il, « le sujet revit constamment les peurs qu’il a réellement éprouvées » et même le fait de perdre connaissance n’empêche pas la formation de symptômes psychogènes dans un état d’inconscience. Il est là plus proche du concept de forclusion (LACAN) que du mécanisme de refoulement.
Il remarque que « personne n’est à l’abri (d’une névrose traumatique) puisque le stade narcissique est un point de fixation important du développement libidinal de tout être humain » (le « break-point » des auteurs américains).
Entre 1928 et 1932, FERENCZI approfondit sa conception du « traumatique », réhabilitant le traumatisme réel dans l’étiopathogénie des troubles psychiques et introduisant des notions fondamentales :
– L’identification à l’agresseur (et à la culpabilité de celui-ci
– Le rôle de la haine dans l’événement traumatisant
– La place du non-dit, de l’énigmatique, du côté de l’agent traumatisant et de l’angoisse de mort du côté du sujet traumatisé
– L’idée du traumatisme comme signifiant à l’homme son abandon par les dieux
– Le clivage (avec la conception d’une partie « morte » du moi
– Le statut complexe de la « réalité », à la fois externe et constituant nucléaire de l’inconscient
– La complexité de la fonction onirique
Il montre également son scepticisme sur la fonction positive de la « répétition » comme tendance à lier et à symboliser.
Actualité du trauma :
La notion de traumatisme psychique, comme le souligne Claude BARROIS, concerne les défis et les limites de l’analysable, le statut de la réalité dans ses rapports avec l’inconscient et ce que nous désignons actuellement sous le terme de psychose. ,
L’accident traumatisant est pour le sujet, une « attaque » au sens guerrier ou musical (entre un silence d’avant et ce qui suit de façon implacable), une « apocalypse » selon l’expression de Julia KRISTEVA, au sens théologique et étymologique de dévoilement, de révélation. La réalité, dépouillée de ses voiles d’imaginaire, devient le Réel. L’accident traumatisant ne peut se vivre et se revivre que dans l’effroi, impossible à penser.
Il y a disjonction de l’affect et de la représentation, dans une expérience de solitude absolue, de rupture de tous les liens, dans un état de détresse reliée à la notion de perte d’objet, de menace de perte de soi devant la menace de mort, par le truchement de la perte de l’autre (avec la culpabilité qui accompagne l’idée d’être un survivant parmi les morts) renvoyant à une problématique de deuil ou de perte d’objet partielle articulée à une angoisse de castration.
Le « trop » du traumatisme s’accompagne de son ombre, le silence de l’indicible, le retour à l’inanimé de la pulsion de mort.
La soudaine intimité avec la mort est effrayante : mors certa, hora incerta se transforme dans le traumatisme psychique en mors certissima, hora quasi certa pour le sujet, mais le sujet apprend dans son être qu’on n’apprend jamais à mourir (Cf. V. JANKELEVITCH « la préparation à la mort n’est peut-être qu’une simple galéjade » (La mort, p.275).